Gloomy Heaven
Mon paradis, c’est pas
vraiment l’Eldorado. Il est juste artificiel. C’est pas vraiment le bonheur,
juste un certain plaisir. Il n’est pas non plus très sain, si on le regarde de
près, mais je dois m’en contenter. Je crois qu’il n’est pas non plus très utile
à l’humanité mais je suis égoïste.
Je cours les rues, les périmètres bien définis, sans
dépasser. Je mordille mes clés de voiture, allume cigarettes sur cigarettes. Je
cours les rues. Je crois que j’ai toujours l’impression de ne pas avoir tout
vu… Alors j’y retourne sans cesse, dans ces rues.
J’ai pas le choix, rien d’autre à faire. Je m’ennuie dans ces
rues que je parcours. Et puis lorsque je pense avoir tout vu, je m’enferme dans
ma tête et laisse mon corps cheminer à sa guise. Je m’isole ainsi, dans mes
rêveries, pensées précieuses ou pas, je me cloître… Jusqu’à ce qu’un inconnu
m’en sorte.
Mademoiselle, ça va ? dit-il d’un ton intéressé. Je le
regarde comme si je ne comprenais pas, puis je baisse la tête et repars. Je
reprend ma réflexion au point où l’on me l’a retenue. Je n’oublie jamais ce que
j’avais en tête en général, bien plus important que cet inconnu sans pudeur.
J’ai peur de tous ceux-là d’ailleurs.
J’ai déjà pleuré dans ces rues. Sans scrupule mais avec un
peu de réserve. La délicatesse de ne pas laisser échapper des plaintes trop
bruyantes, c’est mieux pour tout le monde. Surtout pour les autres que pour
moi. Mais je suis égoïste. J’ai honte en fait quand je pleure dans les rues.
J’ai souri, aussi, dans ces rues. Et je ne sortais pas d’un
centre où l’on enferme ces fous. J’ai souri, mais je crois que personne ne
comprenait pourquoi. Et cette ignorance me donnait encore plus envie de
sourire ! Mes lèvres s’y plaisent, c’est tellement rare de le faire ainsi…
Et puis j’ai croisé beaucoup de gens dans ces rues… Des gens
tous différents, certes, mais je ne sais pourquoi, enfin si peut-être, ils me
semblaient tous semblables. Il faut dire que ce n’était pas chez moi ces rues.
C’était l’étranger tout le temps, la même odeur terrible de l’abstraction. Rien
ne se considère dans sa globalité, là-bas. Et ici aussi d’ailleurs, mais tout
est différent !
J’ai vu que des têtes de cons, des emmerdeurs de première
classe, j’ai vu des gueules d’ange, des pétasses qui se la pètent, des vieux
ploucs qui se font chier assis sur les bancs… J’ai vu plein de monde avec le
temps, des groupes de jeunes qui font les cons, des éternelles indécises dans
les magasins de fringues…
Et je m’en fous si vous saviez, mon paradis c’est parcourir ces rues, sans but, sans itinéraire, c’est voir tout cela. C’est mon corps qui décide, car mon paradis, ce sont mes pensées. Ce sont elles qui me font me sentir à part de tous ces gens, c’est lorsque j’espère que personne n’entend ce que je me dis. C’est cette intimité avec moi-même. Son intelligence, mais c’est aussi parfois une réflexion face à une paire de chaussures !