Samedi soir
Une âme triste, nostalgique dans un corps trop
grand pour elle… C’était cela qui le qualifiait le mieux : la tristesse,
les remords, la nostalgie qui ne voulaient pas se transformer en simples
souvenirs.
Il entra dans cette salle plongée dans l’obscurité,
le dos courbé et les mains dans les poches ne sachant pas qu’en faire, le
sourire faux ; et la bouche préférant laisser échapper un cri de douleur
plutôt qu’un bonsoir joyeux. Il arpenta la salle du regard et s’arrêta sur le
mien, quelques secondes seulement, simplement, d’une mélancolie intensive à me
faire chialer, sans mots car ils seraient inutiles. Rien que son regard laisse
savoir tant de choses… Il tourna la tête vers la foule dansante et leva le bras
droit entraîné par le rythme de la musique. Il balança son grands corps
quelques instants, souriant de ce sourire qui n’appartient qu’à lui… Souriant
de ce sourire qu’il n’y a que moi qui comprenne.
Il plongea de nouveau son regard dans mes yeux,
timidement ; un regard désolé, gêné, mélancolique, envieux… Je retiens mes
cris, je retiens mes sanglots ; j’esquive ma pitié car j’en ai honte, je
ralenti ma course, fuis mes mots… Je laisse mon regard se perdre au hasard,
sillonner sur les murs ou sur le sol, sur d’autres visages peut-être. Peu importe
tant que je fuis sa silhouette.
Il disparut ensuite, sans que je n’ai eu le temps
de lui adresser mes mots, les paroles qu’il attendait, les gestes rassurant…
Mais je ne puis le rassurer, comme il ne peut le faire avec moi ! Je ne
puis nier que j’attendais ses maux, même si j’appréhendais les réponses que je
pouvais fournir à ses questions ; je demeure imprécise, volatile, dans une
peur voluptueuse de laquelle tout le monde chercherait à m’apaiser.
Je ne le revis point de la soirée, je l’ai
cependant cherché du regard à de nombreuses reprises, souhaitant qu’il
m’appelle, me dise de le rejoindre, pleure dans mes bras, me balance ses cris à
la gueule… J’en avais besoin.
Mais il ne s’est rien passé de la sorte. Rien. Seuls nos regards ont pu s’entretenir. Il m’a fuit, comme on fuit une maladie contagieuse. Je suis la peste. Je suis un animal redoutable qui mord lorsqu’on l’approche de trop près. Je ne suis qu’un simple fantasme nuisible, nocif, toxique, brûlant le cœur à qui veut le boire. Il m’a trop savouré, il en est devenu fou, drogué de n’avoir jamais lutté, mort d’amour…